Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/196

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Madame de Verseuil, sans paraître envieuse de ce compliment fait tout haut, fut très-choquée de l’épigramme qu’il renfermait contre elle ; et son dépit s’en manifesta dans tout ce qu’elle dit le reste de la soirée. Blâmant Gustave sur chaque point, sa contradiction allait jusqu’à l’impolitesse ; et dans cette occasion, son ressentiment l’emporta sur sa prudence.

Une mauvaise humeur si subite, et en apparence si peu fondée, devait être remarquée du général ; elle le fut en effet. Il l’attribua d’abord au sentiment d’envie qui agite souvent une femme lorsqu’on exalte devant elle la beauté d’une autre ; mais, sachant bien que l’esprit d’Athénaïs devait la sauver du ridicule de montrer une faiblesse si humble, il chercha un motif plus plausible à son dépit, et fut tout près de découvrir le véritable. C’est ainsi que les amants perdent souvent le fruit d’une longue contrainte ; ils mettent tous leurs soins à cacher leur bonheur, sans penser que les tourments qu’ils laissent apercevoir en sont toujours la preuve.

À dater de ce moment, M. de Verseuil fut en continuelle observation sur les moindres démarches de sa femme ; mais, comme Gustave, irrité contre elle, affectait de la fuir, il ne put soupçonner aucune intelligence entre eux. D’ailleurs, Gustave, sans cesse auprès de Stephania, paraissait uniquement occupé d’elle. Rien n’aurait empêché de le croire, s’il s’était donné moins de peine pour le prouver : mais il y avait dans les soins qu’il prodiguait à madame Rughesi une sorte de faste qui trahissait ses efforts ; et Athénaïs jouissait en secret de l’exagération qu’il mettait dans les témoignages de sa préférence pour Stephania. Celle-ci, aveuglée par tous les prestiges d’un amour exclusif, était dupe et heureuse. Hélas ! ce bonheur devait bientôt s’évanouir ! Une rivale pouvait-elle en supporter l’aspect ? et ne fallait-il point pardonner à l’infidèle, pour désespérer à jamais sa complice ?

— C’en est fait, me dit Gustave, le lendemain de cette querelle, je ne veux plus avoir rien à démêler avec madame de Verseuil. Elle a mis hier ma patience et ma politesse à une trop grande épreuve. En vérité, je ne savais quelle contenance tenir devant son mari, pendant qu’elle m’accablait ainsi d’épigrammes sanglantes ; et j’ai bien peur qu’il n’ait