Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/205

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— Pour y mourir ! reprit-elle en tirant un poignard dont Gustave se saisit.

— Qu’osez-vous faire, insensée !…

— Je veux mourir, te dis-je, à la même place où je t’ai vu aux pieds d’une autre !

— Ah ! s’il vous faut une victime, frappez-moi, plutôt que d’attenter à votre vie. Elle m’appartient ; je la défendrai contre vous-même.

— Crains plutôt de me la rendre, perfide ; car je ne puis plus vivre que pour me venger de toi, de ton indigne complice. Oui, j’irai dévoiler à tous ceux dont vous redoutez la puissance les infâmes liens qui vous unissent. Je révélerai ta perfidie, ma honte et la sienne. Elle apprendra comment tu sais trahir l’amour le plus dévoué. Elle apprendra comment, encore ivre de cet amour, tu peux quitter la femme qui t’adore pour venir en tromper une autre. Elle verra, dans mon désespoir, le sort qui l’attend ; et si ce fatal exemple ne la détache pas à jamais de toi, c’est elle qui subira tout le poids de ma vengeance !

— Barbare ! abjure cette affreuse menace, ou je cours en prévenir l’effet ; et je pars ensuite, pour ne revoir jamais le monstre qui peut concevoir un tel crime.

— Ah ! ne m’abandonne pas dans cet état horrible, s’écria la malheureuse Stephania en se traînant aux genoux de Gustave. Prends pitié de mon égarement. Empêche-moi d’accomplir un projet exécrable. Toi seul peux retenir mon bras ; toi seul peux me sauver du crime et du remords. Ah ! le ciel m’en est témoin, je n’étais pas née pour concevoir d’aussi affreux sentiments. Il me fallait t’adorer, te perdre, ingrat, pour devenir aussi coupable. Mais je ne me connais plus, et je t’implore pour t’épargner le plus grand des malheurs. Rends-moi l’illusion qui t’assurait de mon obéissance ; ordonne-moi le pardon de ta perfidie. Dis-moi que mes yeux m’ont abusée ; qu’un autre que toi était aux genoux de ma rivale ; que tu n’as pas cessé de m’aimer ; enfin daigne me tromper encore, et je supporterai la vie… Mais non ! la feinte est maintenant inutile… Tout est fini pour moi… je me meurs !…