Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/218

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dame de Verseuil, tandis que mon maître, destiné à courir après le major, se fit conduire avant tout par l’aubergiste à la chambre de mademoiselle Julie.

En apercevant mon maître, la pauvre fille se mit à fondre en larmes. Elle s’apprêtait à lui raconter tout ce qui lui était personnel dans ce triste événement ; mais Gustave, l’interrompant sans cesse pour lui demander ce qu’elle savait de madame de Verseuil, ne lui laissa pas le temps de se plaindre ; et elle fut contrainte à lui répondre brièvement sur tout ce qui regardait sa maîtresse.

— À ne vous rien cacher, lui dit-elle, j’ai d’affreux soupçons, et rien ne m’ôterait de l’idée que madame est en ce moment victime d’une vengeance particulière.

À ces mots, Gustave frémit, et, se rapprochant de Julie, il la conjura de se rappeler tous les détails qui pouvaient lui inspirer un semblable soupçon. D’abord, lui dit-elle, j’ai reconnu à la tête de ces révoltés le grand Rinaldo, ce domestique de madame Rughesi, qui a toute sa confiance. C’est lui qui paraissait commander la troupe de laquais renvoyés qui a d’abord ameuté la populace. Quand cette femme me montra à eux comme étant madame, Rinaldo se jeta sur moi, armé d’un poignard, et m’ordonna de le suivre ; j’avoue qu’en ce moment, la peur de mourir l’emportant, je m’écriai :

» — Reconnaissez-moi donc. Je ne suis pas madame de Verseuil.

» Alors, Rinaldo me regardant de plus près, vit sa méprise, et, m’abandonnant à ses infâmes camarades, il courut après madame, la saisit par les cheveux, et la traîna hors de la chambre. Depuis lors, je ne l’ai point revue ; mais les horribles discours des misérables qui m’entouraient, et menaçaient de m’égorger si je ne leur livrais pas les papiers et l’argent de mes maîtres, m’apprirent assez leur confiance en Rinaldo ; et la certitude qu’ils avaient que ma pauvre maîtresse n’échapperait pas à sa férocité.

» — Laissons-le agir, disaient-ils ; cette affaire-là lui sera bien payée, et nous en aurons notre part. La Rughesi est généreuse.

» Ah ! monsieur, ajouta Julie en se tordant les bras, j’avais