Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/231

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dame de Verseuil de ne pas s’effrayer à la vue de notre civière, et lui bien affirmer que c’était Gustave, et non pas son mari qu’on ramenait ainsi blessé. Cet avis avait naturellement produit un effet contraire à celui que le major en attendait, et il finissait à peine son récit, qu’Athénaïs était déjà évanouie.

Étonné de cet excès de sensibilité, il fit avertir madame d’Olbiac, qui était arrivée le matin même, lui confia sa belle-sœur, et vint nous rejoindre. Après avoir été saigné, Gustave reprit connaissance ; c’était le moment que je redoutais : je dis au chirurgien d’éloigner les personnes qui remplissaient la chambre ; ensuite, prenant à part le major, je lui remis les dépêches dont Gustave était chargé, et le conjurai de les porter lui-même sans délai au commandant de la place. J’avais sans doute, en lui parlant, le visage très-altéré ; car il me fit apporter un verre d’eau-de-vie, et, me forçant à le prendre, il dit :

— Pauvre garçon ! il est pâle comme la mort.

Je voulais rester seul près de mon maître, et Bernard seconda mon dessein en faisant sentinelle dans l’antichambre pour écarter les importuns qui viendraient nous visiter ; car Germain était si occupé de son cheval tout estropié, qu’on ne pouvait l’arracher d’auprès de cette pauvre bête.

Je ne tenterai point d’exprimer tout ce que j’éprouvai en voyant l’affreux réveil de Gustave, et les souffrances horribles qui signalèrent son retour à la vie ; jamais la fièvre et le désespoir n’enfantèrent un plus cruel délire. Poursuivi par l’ombre de Stephania, il lui adressait des plaintes déchirantes lui demandait pourquoi elle était morte avant de le frapper, et cherchait partout une arme pour la venger. Je sentis qu’un état si violent ne céderait qu’aux larmes, et je lui rappelai tous les souvenirs qui pouvaient l’amener à quelque attendrissement. Un message de Corona me servit dans ce projet. Le docteur envoyait à mon maître un paquet cacheté, contenant les dernières volontés de Stephania, et une lettre d’elle adressée à Gustave. J’attendis un instant de calme pour la mettre sous ses yeux. Il s’en saisit avec avidité, comme s’il devait y trouver l’assurance que cet appareil funèbre n’était qu’une vision, et que Stephania vivait encore. Mais ces lignes tracées d’une main tremblante, ces adieux touchants, ce par-