Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/252

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çait à devenir funeste à nos blessés. Les ennemis avaient quatre mille malades dans la place. Il était essentiel de préserver notre armée de cette fièvre contagieuse ; aussi les secours les plus vigilants furent-ils apportés à tous ceux que la maladie pouvait atteindre. Bonaparte visitait chaque jour les hôpitaux, et recommandait à ses généraux la même surveillance. Sa sollicitude à cet égard allait jusqu’à lui faire voir le danger où il n’était pas. C’est ainsi qu’ayant remarqué la pâleur de Gustave, et l’air souffrant que lui donnait sa blessure, il lui ordonna de se reposer pendant quelques jours, et lui défendit d’accompagner sa division à Peschiera. Tout en murmurant de cet ordre charitable, Gustave lui dut peut-être la vie ; car dans l’état d’irritation et de découragement où il se trouvait, le ciel sait à quel excès d’imprudence sa valeur aurait pu le porter. Mais Bonaparte lui avait dit en lui serrant la main :

— Ce n’est pas tout d’être brave ; il faut encore savoir faire le sacrifice de quelques coups de canon, pour conserver à sa patrie un défenseur, et à son chef un ami.

Ce peu de mots avaient suffi pour ramener Gustave à des bons sentiments.

— Quand on peut se flatter de l’amitié d’un tel homme, pensait-il, on serait bien coupable de ne pas vouloir vivre pour lui : quelles sont auprès d’un si noble intérêt les misérables agitations qui naissent des caprices d’une femme ! Ah ! quand l’amitié et la gloire peuvent remplir l’existence, pourquoi permettre à l’amour, à la perfidie de venir la troubler !

En se livrant à ces réflexions, Gustave se reprochait la lettre que, dans son premier mouvement de dépit, il avait adressée la veille à madame de Verseuil. Il sentait combien cette lettre allait paraître insensée après le serment qu’ils s’étaient mutuellement fait de renoncer à l’amour qui leur avait causé tant de chagrins. En acceptant l’affection qui devait remplacer une passion plus vive ; Gustave avait-il le droit d’empêcher Athénaïs d’éprouver de l’amour pour un autre ? Non, sans doute ; c’eût été une injustice révoltante ; il en convenait avec lui-même ; mais le regret de ce tort l’affligeait encore moins que la découverte des sentiments jaloux qui l’en avaient rendu coupable.