Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/254

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et pardonner toutes les sottises que m’a fait faire la seule crainte de n’être plus que son valet de chambre.

J’étais si ému en prononçant ces derniers mots, que Gustave en fut vivement attendri ; et, me prenant la main, il me dit :

— Bon Victor ; je te retrouve ; ne me quitte plus.

Alors il me confia toutes les inconséquences de son cœur, et les reproches que le souvenir de Stephania ne lui avait point empêché d’adresser à madame ce Verseuil. Peu de jours après, il me montra sa réponse ; elle était ainsi conçue :

« Grâce aux mêmes calomnies dont vous êtes la dupe, on me fait quitter aujourd’hui Milan. Si vous persistez à les croire, tout est fini entre nous ; mais si votre amitié veut m’en consoler, rendez-vous secrètement mardi soir à Vérone. Julie vous attendra sous les arcades de l’Arena, et vous apprendrez d’elle où vous pourrez vous justifier de m’avoir supposé tant de torts. »

La tristesse, les regrets, les soupçons, tout, grâce à ce billet, fut dissipé comme par enchantement. Sans réfléchir un instant sur l’événement qui lui valait ce rendez-vous, sur la difficulté, et peut-être l’imprudence de s’y rendre, Gustave court chez le général en chef, lui demande à prolonger d’un jour le congé qu’il lui avait imposé lui-même. Cette grace obtenue, il va chez le général Verseuil pour s’informer de ses projets particuliers ; mais, en arrivant à sa porte, Gustave rencontre J…, qui lui dit :

— Garde-toi bien de monter chez ton général en ce moment ; il est d’une humeur massacrante. Cet imbécile de L…, devant qui je racontais l’autre matin les tendresses de Salicetti pour madame de Verseuil, n’a-t-il pas été en étourdir les oreilles de son pauvre mari ; et celui-ci, dans sa fureur jalouse, n’a-t-il pas envoyé à sa femme l’ordre de quitter Milan pour se rendre en toute hâte à Vérone, où, par parenthèse, tu pourras la voir très-commodément, ce qui me console un peu d’avoir jeté le trouble dans ce bon ménage.

— Comment, dit Gustave d’un air dédaigneux, c’est Salicetti qui lui cause cette fureur jalouse ?

— Oui ; c’est afin qu’elle ne soit point avec Salicetti à Milan