Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/257

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Qu’importe, interrompit Gustave ; le jour où l’on est heureux n’est-il pas celui où l’on devrait mourir ?

À peine achevait-il ces mots, que nous vîmes briller les rayons de la lune sur les croix argentées des clochers de Vérone : alors, ne pouvant plus contenir son impatience, Gustave jette à son guide le prix de ses services ; et, partant au galop, il arrive comme un trait aux portes de la ville. Là, on lui demande quel est son nom, sa mission ; il se voit au moment d’être conduit solennellement chez le commandant de la place ; déjà quelques personnes s’obstinent à le prendre pour un espion ; il est prêt à en tirer vengeance : je prévois une scène affreuse ; et, pour l’éviter, j’engage mon maître à montrer son brevet, et à dire qu’il se rend chez le général Masséna. À ce nom, un officier s’avance, reconnaît le capitaine Révanne, et répond de lui ; mais, comme il sait que Masséna l’estime, il veut avoir l’honneur de le conduire lui-même chez son général ; et voilà Gustave enchaîné par cette politesse encore plus qu’il ne l’était auparavant. Je viens à son secours en lui disant que, fatigué comme il l’est, il ne peut faire sa visite au général qu’après s’être reposé quelques instants. L’officier, qui trouve l’excuse bonne, veut bien ne nous accompagner que jusqu’à notre auberge ; et il nous quitte enfin pour aller se vanter à toute la garnison du service qu’il vient de rendre à un ami du général en chef.

Dès que mon maître est débarrassé de ce brave importun, il vole au rendez-vous ; c’était l’heure où les habitants de Vérone vont prendre le frais sur les bords de l’Adige. Les rues désertes, pendant l’ardeur du soleil, étaient alors remplies de monde ; et Gustave se trouvait au milieu de cette foule sans savoir comment il découvrirait à travers tant de figures inconnues celle de mademoiselle Julie. Il a déjà deux fois parcouru la vaste enceinte de l’Arena. Trompé par la démarche vive et la tournure française de quelques femmes, il les aborde tour à tour, et s’éloigne aussitôt en maudissant leur ressemblance avec Julie. Que de tristes suppositions se succédèrent alors dans son esprit ! Athénaïs avait changé de projet, son arrivée à Vérone était peut-être retardée, ou, ce nui serait pis, le général, en ayant connaissance, allait peut-