Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/266

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En effet, Gustave ne le vit que trop, et malheureusement toute la division aussi. Car il prenait un ton si mystérieux en parlant au général Verseuil, et mettait tant d’affectation à lui répéter qu’il était ravi de faire connaissance avec son premier aide de camp, que le moins fin des hommes aurait deviné que ce bavardage cachait quelque mystère.

Sans se rendre compte de toutes ces choses étranges, le général les remarquait ; ce qui le frappa surtout fut l’obstination de mon maître à ne pas vouloir l’accompagner jusque chez madame de Verseuil. Il imagina les prétextes les moins vraisemblables pour lui épargner la surprise qu’elle ne pourrait s’empêcher de témoigner en le voyant sitôt de retour.

— Vous viendrez du moins souper avec nous, dit le général ; je ne veux pas que vous viviez solitaire comme vous le faites depuis que nous avons quitté Milan. On ne vous voit plus que les jours de bataille. C’est trop accorder à d’amoureux regrets ; maintenant vos amis vous réclament ; rendez-leur vos soins et votre gaieté.

Ces mots, dits avec l’accent d’une franche amitié, troublèrent la conscience de Gustave ; il y répondit avec embarras ; car rien ne déconcerte autant que les preuves d’affection de l’homme qu’on offense.

Après nous être installés dans un hôtel près de la maison de madame de Verseuil, Gustave se rendit chez elle avec une émotion facile à concevoir. Le cœur lui battait si vivement, qu’il fut obligé de rester quelques minutes dans l’antichambre avant de se faire annoncer ; mais, à son nom prononcé hautement, Athénaïs ne retourna seulement pas la tête. Engagée dans une conversation avec Masséna et deux autres personnes, elle ne parut faire aucune attention à celui qui arrivait. Loin d’en être étonné, Gustave pensa que cette marque d’indifférence n’avait pour but que de détourner les soupçons ; et il aurait cherché à l’imiter peut-être, si la politesse ne lui avait fait un devoir d’aller, en entrant, saluer la maîtresse de la maison.

— Eh ! bonjour, monsieur, lui dit-elle avec ce ton poli que l’on a pour tout le monde ; j’ai appris que vous aviez été blessé à la bataille de Castiglione, et je suis charmée de voir