Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/286

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sais quoi m’empêchait de lui parler de la passion qu’elle avait pour lui : je n’en connaissais pas assez bien la valeur ; et mon silence à ce sujet était presque une médisance. Cependant je vantai son courage à supporter sa nouvelle situation ; ses projets de retraite, son goût pour la lecture et les arts ; enfin, j’en dis tout ce qui pouvait le flatter, excepté :

« Elle ne vit que pour vous » ; et, pour un amant, cet éloge de moins détruit l’effet de tous les autres.

Gustave était impatiemment attendu ; car, après la scène qui s’était passée à Vérone, cette entrevue devait décider du sort de madame de Verseuil. Sans doute elle en obtint le succès que son cœur espérait, car je la vis bientôt après les yeux brillant de joie. Mon maître aussi me parut plus content ; il est vrai qu’il me parlait du plaisir d’embrasser bientôt sa mère, et me prescrivait une foule de démarches pour lui faire pressentir notre prochain retour, et la préparer à cette heureuse surprise. Je fus dépêché en avant, avec l’ordre de descendre chez M. de Léonville ; car nous pensions que si madame de Révanne me voyait arriver ainsi seul, elle ne manquerait pas de croire son fils mort, ou, tout au moins, dangereusement blessé. Mes instructions portaient encore la location d’un appartement agréable, et situé le plus près possible de la maison de madame de Révanne. Je devais le louer au nom de madame de Mézières (c’était celui que portait madame de Verseuil avant son mariage), et je devais surtout garder le plus profond silence sur les motifs qui amenaient cette jeune dame à Paris.

Pendant que mon maître me traçait tout ce plan, je hasardai quelques réflexions sur la difficulté de conserver longtemps le secret de sa liaison avec madame de Verseuil.

— Il est pourtant fort essentiel, me dit Gustave, d’en sauver les apparences, jusqu’au moment où il nous sera permis de la sanctifier ; car le général pourrait s’en faire un titre pour nous intenter un procès scandaleux.

— Pensez-vous qu’il redemande sa femme, après ce qui s’est passé ?

— Non ; mais il se plairait à la déshonorer, et je ne pourrais prendre sa défense qu’en la compromettant.