Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/295

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la patrie ; que déjà les plus belles femmes de la ville se portent en foule au Luxembourg, et se disputent les places où l’on pourra le mieux contempler les fronts belliqueux des jeunes ambassadeurs de la victoire. Enfin, songez qu’on va vous applaudir, et que votre mère sera là !

— Oui, cela devrait me suffire, dit Gustave d’un ton pénétré, et cela suffit, ajouta-t-il en ayant l’air de surmonter sa faiblesse. Je te remercie de me prouver que je suis heureux, car le ciel me confonde si je m’en aperçois ! Mais tu as raison, je suis ingrat, et je ne veux penser aujourd’hui qu’au bonheur de ma mère !

Comme il finissait de parler, nous entendîmes le bruit d’une voiture : c’était madame Bonaparte qui venait chercher son amie pour la conduire au Luxembourg. Bientôt après mon maître se rendit chez le ministre de la guerre, d’où le cortège militaire devait partir pour se rendre au Directoire.

J’étais mêlé à la foule qui attendait dans la rue la sortie des drapeaux et j’écoutais avec ravissement les discours qui se tenaient sur les envoyés de Bonaparte. L’un avait eu quatre chevaux tués sous lui à la dernière bataille ; l’autre avait sauvé la vie du général en chef en le couvrant de son corps dans une attaque ; enfin l’on amassait sur ces deux officiers les exploits de toute l’armée. Les savants du groupe ou je me trouvai ayant lu dans le journal les noms des deux braves, se croyaient obligés de les apprendre à tous ceux qui les demandaient ; et ne pouvant supporter sans impatience d’entendre écorcher ces noms de tous côtés, j’eus le malheur de dire assez haut :

— Ce n’est pas Régnâne, mais Révanne qu’il s’appelle.

— Ah ! le citoyen les connaît, s’écria aussitôt une grosse portière.

Et je fus en un instant accablé de mille questions. J’y répondis, comme on le pense bien, avec un ton d’autorité qui trahissait mon rang. Je racontais complaisamment les hauts faits de Gustave, et quand on me disait d’un air étonné :

— Bah ! vraiment ?

Je répondais :

— Je l’ai vu, et cette assurance augmentait encore la curiosité de mes auditeurs.