Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/301

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L…, lorsqu’à propos des plus célèbres républicains, elle lui dit :

— Pour vous, j’en suis certaine, vous n’aimez pas Brutus ?

— Lequel, madame, répondit-il, est-ce celui qui a tué son fils, ou celui qui a tué son père ?

Parmi les convives, mon attention se porta d’abord sur les deux que madame de Staël avait placés près d’elle. L’un, décoré d’ordres étrangers, me parut un diplomate ; l’autre un patriarche. La noblesse de ses traits, la sérénité de son front, des cheveux blancs bouclés, son air simple et vénérable, rappelaient au premier coup d’œil les sages de la Bible ; mais lorsque, entraîné par la conversation, son esprit s’enflammait, le feu de ses regards trahissait le poëte. Un reproche m’apprit son nom.

— Grâce à vous et à lui, dit madame de Staël en montrant Talma, je suis arrivée hier soir chez madame de V…, les yeux dans un état si déplorable, que chacun m’a demandé la cause de mon désespoir. J’ai répondu :

« — Hélas ! Salema est morte, et je connais Pharan ; il ne lui survivra pas.

— Eh bien, madame, dit M. A…, si vous étiez restée une heure de plus au spectacle, on vous aurait vu arriver chez madame de V…, avec le visage le plus riant du monde ; car votre tristesse n’aurait pas tenu contre l’excellent comique des Héritiers[1]. Vraiment, à voir l’intérêt, l’esprit, la philosophie, la gaieté, répandus dans cette petite pièce, on dirait que l’auteur l’a donnée comme un échantillon de tout ce qu’il peut faire en ce genre.

En fait de comédie, M. A… était déjà une autorité ; et madame de Staël crut sans peine qu’il les jugeait aussi bien qu’il savait les faire. L’entretien se continua sur l’art dramatique. Quelqu’un demanda à madame de Staël si elle avait assisté à la dernière représentation d’Hamlet.

— Oui, répondit-elle. Et comme il ne peut être comparé

  1. Comédie de M. Alexandre Duval, que ses nombreux succès placent à la tête de nos auteurs dramatiques, et dont le public espère encore de nouveaux plaisirs.