Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/307

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Verseuil d’être telle que vous la supposez, je ne la reverrais de ma vie ; mais j’ai déjà trop coûté à son amour pour en pouvoir douter.

— Eh bien, mon fils, que cet amour nous serve à la juger. Rappelez-vous le premier sentiment que vous avez inspiré, les combats qui l’accompagnèrent, et le courageux sacrifice qu’il s’ordonna. Croyez-vous que la femme qu’un veuvage, presque prouvé, livrait à l’espoir de s’unir bientôt à vous ; dont vous étiez la première, l’unique passion, qui vous avait confié son honneur et sa vie ; croyez-vous que cette femme, en rompant les liens les plus chers pour partager le sort d’un malheureux proscrit, pour supporter à toute heure les reproches les plus amers, et mériter son pardon à force de soins et de larmes ; croyez-vous que cette infortunée ne vous aimât pas plus, en s’arrachant à vous, que toutes celles qui s’abandonnèrent à vos désirs.

— Je ne crois pas à l’amour qui cède si facilement au devoir.

— Méfiez-vous plutôt de celui qui le brave.

— Cette Lydie que vous me préférez maintenant, dit Gustave en marchant à grands pas dans la chambre, elle seule est la cause de tous mes maux ; cette Lydie qui a ouvert mon âme aux sentiments les plus passionnés, aux émotions les plus tendres, c’est pour oublier son abandon que j’ai commis tant de fautes ; c’est pour n’être plus le jouet d’un vertueux caprice que j’ai voulu régner despotiquement sur le cœur qui se livrait au mien ; et vous exigez que je préfère l’amour qui se convertit à celui qui se dévoue ? Non, vous me blâmeriez vous-même de cette injustice. J’aurais donné ma vie pour épargner à madame de Verseuil, à moi, le tort d’une séparation qui nous sera longtemps reprochée ; mais, puisque j’en ai été le motif, et qu’elle me doit son malheur, je le réparerai par tous les moyens qui sont en ma puissance. L’honneur m’en fait la loi, et, en obéissant à ce sentiment impérieux, je ne crains pas de mécontenter ma mère ; car c’est d’elle que j’ai appris à tout soumettre à l’honneur.

— Il ordonne, il est vrai, répliqua madame de Révanne, de se consacrer tout entier à la femme que l’on a séduite,