Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/310

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Et il s’établit près de sa cheminée, bien sûr de n’y pouvoir faire autre chose que de rêver tout à son aise.



LXI


Nos adieux se firent à la hâte, et nous ne mîmes que dix jours pour rejoindre l’armée. Pendant la route, mon maître, agité par une idée qui lui revenait sans cesse, me fit de vifs reproches sur ma discrétion envers lui, à propos d’un mystère qui l’intéressait vivement :

— Car je ne doute pas, ajouta-t-il, que tu n’aies su par Louise tout ce qui est arrivé à madame de Civray ?

— C’est possible, répondis-je, mais monsieur ne m’ayant jamais adressé la moindre question à ce sujet…

— Tu devais m’en parler, interrompit-il, et tu as manqué en cela de ta pénétration ordinaire.

— En vérité, monsieur, j’étais fort incertain du plaisir que je vous causerais en vous racontant qu’elle en est encore à son premier amour, et qu’à la manière dont elle vit, on ne croit pas qu’elle en guérisse jamais.

— Ce n’est point cela que je te demande, reprit Gustave d’un air embarrassé ; mais tu n’ignorais pas le lien qui en dépit de tout nous attachera éternellement l’un à l’autre, et tu ne m’en as rien dit.

— J’ai cru que vous en étiez instruit, et qu’en ne me disant rien vous-même, c’était m’imposer silence à ce sujet.

— Qui a pu t’en donner l’idée ?

— Ma foi elle m’est venue tout naturellement, il y a huit jours, en vous voyant caresser l’enfant que portait dans ses bras une bonne qui traversait la cour lorsque vous attendiez M. de Norvel pour aller vous promener ensemble.

— Quoi ! c’était lui ? s’écria vivement Gustave.

— Quand je vous ai vu jouer avec ce joli marmot, le poser sur votre cheval, lui faire faire, en le soutenant sur cette grande monture, quelques pas dans la cour, lui livrer votre cravache, et vous amuser de sa joie à nous en frapper tous, je vous ai cru dans le secret…