Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/348

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riage avec madame de Verseuil. Laissons-la dans cette illusion. Je viens d’écrire à mon régisseur pour qu’il s’apprête à nous recevoir. J’ai peur que nous soyons bien mal logés dans ce vieux château, inhabité depuis la mort de mon père ; c’est pourquoi je veux vous y précéder, afin que madame de Verseuil y trouve au moins un appartement convenable. »

Germain m’avait chargé de demander quel jour il devait ramener les chevaux de mon maître, et je fus bien surpris d’entendre Gustave me répondre :

— Que Germain les conduise à Bruxelles, et me retienne un logement à l’hôtel de Belle-Vue.

— Quoi ! monsieur n’ira point à Paris en quittant Léonville ?

— Non, je profiterai de ce mois de congé pour voir la Belgique, en attendant que des ordres impérieux m’appellent dans le midi de la France.

— Je lui marquai ma surprise de ce projet.

— Lorsqu’il en sera temps, me répondit-il, je t’instruirai de tout ; et, si tu veux partager mon exil, je ne refuserai pas la consolation d’emmener un ami.

— Fût-ce au bout de la terre, il vous suivra, repris-je, et si vous rencontrez le bonheur, je n’y regretterai pas ma patrie.

L’expédition d’Égypte m’a depuis expliqué ce que cette conversation avait alors d’obscur pour moi. Bonaparte, sans trahir le secret de cette grande entreprise, cherchait à s’assurer des officiers qui pourraient l’accompagner, et il en avait assez dit à Gustave pour lui laisser deviner qu’il voulait se soustraire aux intrigues du Directoire, par quelque expédition lointaine.

Quand nous quittâmes Dunkerque, la neige tombait par flocons, et les postillons avaient peine à suivre le pavé, tant la trace des roues était vite effacée. Excepté quelques mendiants à qui la misère faisait braver le froid, on ne rencontrait personne sur la route. Les villages paraissaient déserts, et la nature entière semblait partager le sentiment qui glaçait le cœur de Gustave ; il gardait un morne silence, et je ne pouvais voir son abattement sans comparer la triste cérémonie qui nous attendait, à la fête solennelle que je m’étais figurée tant de fois. Est-ce ainsi, pensais-je, que je devais ac-