Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/49

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reçu sous son feuillage la mère, le fils et la fille ; et l’on est tenté de s’écrier avec l’harmonieux chantre des jardins :

       Hélas ! qu’est devenu cet ombrage enchanté
       Qui voyait de Grignan soupirer la fierté !

L’hiver précédent avait vu tomber, sous la hache barbare, les vieux chênes de l’allée de ma fille, remplacés par de jeunes arbres, et il ne restait de la place à Madame, que deux bancs usés, seuls témoins des causeries piquantes, des tendres épanchements de cette femme aimable, vrai modèle d’amitié et d’amour maternel.

Près de là est encore le petit pavillon où elle aimait tant à se reposer, à lire, à rêver en contemplant les effets de la lune. Mais il n’existe plus un seul descendant de ce brave Pilois[1], qui arrivait la pelle sur le dos pour dire à sa maîtresse : « Madame, je viens me réjouir pas moins, parce qu’on m’a conté que madame de Grignan était accouchée d’un petit gars[2]. » Cela vaut mieux que toutes les phrases du monde, écrivait cette mère adorable, que personne, depuis son jardinier jusqu’à son roi, n’osait aborder sans lui parler de sa fille.

Un portrait de madame de Sévigné, peint par Mignard, et dont on vantait la ressemblance, est resté, par le plus grand hasard, dans la salle à manger du château. Je m’arrêtai longtemps devant cette image de la grâce parfaite ; en contemplant ces yeux si tendres, ce sourire si fin, je crus relire une de ses lettres, et je regrettai tout bas que l’amour eût laissé échapper une si belle proie.

Pendant que seul, et tout entier à mes souvenirs, je parcourais ces lieux, il s’y passait des scènes dont le marquis de Sévigné, surnommé par sa mère le roi des Bagatelles, se serait fort amusé. Rien n’était si plaisant que la colère de M. de Saumery, à chaque bouleversement qu’il trouvait. En

  1. Nom du jardinier de madame de Sévigné.
  2. Lettre du 2 décembre 1671 de madame de Sévigné.