Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/52

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Puis, se penchant vers madame de Civray, il ajouta :

— Ne trouvez-vous pas que Gustave servirait très-bien à l’illusion, et que mademoiselle de Belrive la compléterait, en se chargeant du rôle de mademoiselle Duplessis ?

La comparaison n’était guère juste relativement à Gustave, dont l’air accablé ne rappelait d’aucune manière alors la gaieté du brillant marquis de Sévigné. D’ailleurs rien n’était moins propre à ramener les idées du siècle de Louis XIV, que les continuelles élégies de madame de Belrive sur la Révolution, qu’elle accusait de tout le mal présent et à venir, et qu’elle attribuait à tout le mal passé. À l’entendre, Pharamond lui-même n’en était pas innocent ; et le Grand-Mogol en serait bientôt victime. Pleuvait-il, grêlait-il, c’était encore l’influence de cette maudite Révolution qui avait bouleversé jusqu’aux astres. Enfin cette éternelle rancune contre la Révolution me donnait envie de la défendre par le même sentiment qui fait prendre le parti de gens qu’on déteste, lorsqu’on les voit attaquer avec un acharnement ridicule.

Celui de madame de Belrive était fondé, comme tous ceux de ce genre, sur des intérêts personnels. Elle souffrait surtout de l’obligation d’assurer à ses enfants un sort qu’elle avait crut fixer pour jamais en mettant l’un sous la garde de Dieu, et l’autre sous la protection du roi. Débarrassée par cette précaution des soins qu’aurait exigés d’elle l’éducation de sa fille et l’avancement de son fils, madame de Belrive se proposait de reporter sur elle-même la dose d’intérêt qu’elle avait jusqu’alors partagée entre eux, et elle ne pouvait pardonner à la Révolution de l’avoir ainsi distraite du plaisir de s’occuper d’elle seule par la nécessité de songer de nouveau à l’avenir de ses enfants. Il n’était pas facile de préparer une douce existence à ce pauvre Antonin. Ses premières habitudes contrastaient si fort avec celles des hommes destinés à servir la patrie par leurs divers talents, que sa mère ne savait quel état lui choisir. Cependant il fallait l’occuper, et surtout le soustraire à la vie militaire, que sa santé n’aurait pu supporter. C’est pourquoi madame de Belrive avait imaginé de lui faire apprendre l’allemand, et de lui faire porter des lunettes ; ce qui n’ajoutait d’agrément ni à son esprit, ni à sa