Page:Nichault Les Malheurs d un amant heureux.djvu/55

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ayant l’air de céder aux sollicitations de sa mère, il était effectivement monté chez lui pour s’y déshabiller ; mais il s’était mis ensuite à écrire, et s’interrompant à chaque instant, pour me demander des renseignements sur la route de traverse qui conduisait à cette petite porte du parc de B***. Je devinai son projet ; mais, respectant l’intention qu’il montrait de n’en point parler, je m’appliquai simplement à lui donner l’itinéraire de cette route avec tant de détails, qu’il ne pût s’égarer, même en la parcourant de nuit. Lorsqu’il se crût suffisamment instruit, il m’envoya coucher, et se remit à écrire. Mais la curiosité, qui est infatigable, me tint éveillé. Caché derrière la persienne d’une fenêtre qui donnait sur le jardin, j’aperçus bientôt, à la faveur d’un beau clair de lune, Gustave qui se dirigeait du côté de la grille du parc dont il avait la clef. J’attendis longtemps à la même place, espérant que la nuit, en calmant son esprit, lui inspirerait peut-être la sage résolution de renoncer à cette folle démarche ; mais le diable de l’amour en avait ordonné autrement.

Tourmenté par l’inquiétude de savoir mon jeune maître ainsi livré à tous les hasards d’une grande aventure, je m’endormis à travers mille suppositions de bonheur et de malheur pour lui ; et j’y rêvais encore lorsque le bruit de sa sonnette me réveilla à l’heure accoutumée. Je ne fus pas longtemps à me rendre à ses ordres, car je brûlais de lire dans ses yeux ce que bien certainement sa bouche ne me dirait pas. Je le trouvai couché, il ne restait aucune trace du changement de sa toilette, et j’aurais été tenté de croire que je m’étais trompé sur son absence, si le feu de ses regards et le son de sa voix n’avaient trahi son trouble et son ivresse.

— Quoi ! tu dormais encore ? m’a-t-il dit ; tu es ordinairement plus matinal.

— Il est vrai, lui répondis-je, j’ai ce matin oublié l’heure.

— Tiens, voilà de quoi te la rappeler, reprit-il, en me donnant une de ses montres qui était accrochée à son lit.

— C’est cela, pensai-je, après l’avoir remercié ; généreux comme un jour de succès ? qui n’a pas éprouvé ce besoin de faire profiter de son bonheur ceux même qui doivent l’ignorer ?