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ADOLESCENCE

cet endroit. Les instants qu’il venait de vivre avaient été trop parfaits pour qu’il les retrouve jamais.

Ils remontèrent dans la barque. Claire le regardait ramer, avec un sourire léger, un peu distrait. Elle pensait au retour et lui échappait déjà.

Non, elle ne l’aimerait jamais !

Là, dans l’île, il avait tenu sa chance. S’il avait parlé, dit ce qu’elle était pour lui, elle l’aurait écouté. C’était trop tard.

L’être qu’il avait été lorsqu’il supportait le doux poids de sa tête n’existait plus. Il était resté dans l’île.

Il pensa, avec une acuité soudaine, aux moyens de la conquérir. S’il avait vécu au temps médiéval, il serait parti batailler pour elle. Il était né trop tard.

Tout à l’heure, il aurait fallu qu’un serpent la morde. Il aurait posé ses lèvres sur sa plaie et bu le poison comme une liqueur enivrante. Il serait mort pour elle, rien que pour voir dans le bleu de ses yeux les lueurs humides de l’amour.

Il rêva de catastrophes, où, toujours, il survenait à point pour la sauver…

Les flammes incendiaient sa maison, elle apparaissait au dernier étage, les cheveux en désordre, le visage figé d’effroi. Il montait sans souci des poutres qui tombaient sur lui, respirant sans crainte l’âcre fumée qui l’ensevelissait…

Elle tendait les bras… Il l’emportait, serrée contre lui… Puis il la laissait (dans tout cela, il n’imaginait pas la foule. Ils étaient seuls tous les deux) et s’enfuyait sans même attendre son merci.

Alors, elle savait ce qu’il était vraiment : un chevalier, un preux, un héros. Un héros qui n’avait fait, jusque là, que vivre, étudier et lire. Vivre, parce qu’il le fallait bien. Étudier, parce qu’on l’y obligeait. Lire, parce qu’il oubliait tout alors.

Hélas ! il était devant elle avec ses mains vides. Il