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Page:Nicolaï - La loi du Sud, 1946.djvu/134

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LA LOI DU SUD

Il y a eu tant d’hommes aux regards enfiévrés qui lui faisaient peur…

Maintenant, tous les matins sont des joies, tous les soirs des abandons. Et les journées sont liesses où le chien court avec elle sur la grève.

Plus de travaux trop durs, plus de chagrin.

Elle ne comprend pas d’où lui vient tant de bonheur.

Mais comprenait-elle avant ?

Ses parents sont morts depuis longtemps. Et depuis longtemps elle a subi, dans les auberges où elle était servante, des plaisanteries révoltantes, des gestes qui la faisaient bondir, des promiscuités dont elle se désolait.

Tout est changé.

L’épouse vaque aux besoins.

Ce matin-là est gonflé de tranquillité.

L’homme déjeune sous la tonnelle. L’été est venu et la maison s’offre au soleil, toutes fenêtres ouvertes. Lia chante, dans sa chambre. Et c’est un refrain de bouge. Mais où en eût-elle appris d’autres ? Refrain à boire, refrain à aimer…

L’homme a quarante ans, de la force et des songes plein la tête. Et une épouse trop sage, trop quiète.

Lia ressemble à l’autre, dont il garde en lui, impalpable et irréelle, l’odeur de cheveux trop blonds.

La servante sait-elle ce qu’elle chante ? Certainement. L’innocence n’est point permise dans la taverne où il l’a trouvée… Alors ?

Elle chante toujours.

— Lia, appelle-t-il.

— Oui.

Elle est apparue à la fenêtre, fraîche et rieuse.

Son sourire illumine tout.

L’homme a fermé les yeux. Mais trop tard. L’image est là, l’image de ce bras blanc, l’image de cette chevelure couleur d’un pain chaud et de ces lèvres que d’autres ont désirées.

— Non, non, dit-il pour lui-même… Je ne veux pas.