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LA FILLE AUX SORTILÈGES

La piste : deux rails d’or cinglant vers l’infini, deux rails imprimés par les pneus du car transsaharien qui, inlassable, repasse chaque semaine au même endroit. Nue et blonde, la plaine s’étalait comme une mer figée, étincelante de rognures de quartz sous le soleil indigo bornant l’horizon. Proches ou lointains, des mirages se levaient sur la route suivie par la voiture lourdement chargée : lacs bleutés, fleuves presque blancs aux eaux glissantes, étangs immobiles et sans reflets, villes de rêve surgies du néant qui les résorbait aussitôt.

Le chauffeur du car se pencha vers sa voisine et, lui montrant une balise marquant la route, annonça gaiement :

— Encore cinq comme cela et vous serez arrivée !

La jeune femme frissonna et ne répondit que par un sourire à peine esquissé.

Le silence les cerna à nouveau, mais en elle, s’entrechoquant comme un vol d’oiseaux mis en cage, les idées reprenaient corps.

« J’arrive… pensait-elle avec une sorte d’effroi. Il n’y a plus à reculer maintenant… Qu’ai-je fait ? Sera-t-il là seulement !… Que dira-t-il en me retrouvant ? Mais il le fallait, oui, il le fallait… »

Elle était la femme de Jacques, sa place était auprès de lui, quoi qu’il fût arrivé. D’ailleurs tout valait mieux que ce silence dans lequel il la laissait, ce silence cruel et glacé qui l’emmurait en elle-même comme une morte.

Un amour pouvait-il s’éteindre ainsi, sans raison, alors