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Page:Nicolaï - La loi du Sud, 1946.djvu/33

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LE FANTÔME MAL TUÉ

être réveillée à huit heures. Josette me fit bien comprendre qu’une enfant ne doit pas avoir de caprices.

Les poings sur les hanches et la gorge houleuse dans un vaste caraco, elle s’est exclamée :

— Huit heures… huit heures… pourquoi huit heures ? Enfin, si mademoiselle veut n’en faire qu’à sa tête, qu’elle se débrouille toute seule.

— Tu sais bien que c’est impossible.

— Il y a le réveille-matin.

— Mais, Josette, la sonnerie ne marche plus.

— Est-ce ma faute, à moi, si Mademoiselle l’a lancé par terre la dernière fois ?… Enfin je ne vous réveillerai pas.

Personne ne m’a réveillée, ni Josette, ni le réveil. Mais bien avant huit heures, mes yeux étaient grands ouverts. Je ne dormais plus et j’avais encore envie de dormir ; j’étais désolée de ne plus dormir et quelque chose me tenait éveillée. Était-ce seulement le désir de faire la nique à Josette quand elle entrerait avec le petit déjeuner, ou ce qui devait venir et que j’ignorais ?

Et puis, je me suis peu à peu, peu à peu assoupie, flottant à la surface du sommeil comme un linge qui, sur l’eau, s’imbibe et s’enfonce. J’allais sombrer dans ce lac noir où ne brillent que deux nénuphars trop blancs, quand elle est entrée avec le plateau rituel, son pot à lait inamovible et le croissant auquel le boulanger sans imagination ne donne jamais une autre forme. Ma mule, une mule rouge minuscule, car j’ai de tout petits pieds qui tiendraient dans un poing mâle, vole vers la poitrine de la servante, rate son but cependant large, décrit une courbe rapide et, pirouettant sur elle-même, pénètre avec fracas dans le miroir qui zigzague un sourire étoilé et se précipite à terre pour multiplier l’écho au bruit du choc.