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LA LOI DU SUD

Après le déjeuner, Jean-Claude Saurer — je sais son nom, maintenant, et toutes les femmes, paraît-il, le connaissent, car c’est un grand couturier parisien — m’accompagne dans le jardin. Nous nous asseyons juste sous le gros pommier. Sur un carnet de croquis, il dessine. D’abord, une Françoise tout à fait reconnaissable, puis une belle dame avec une bosse, une bosse pas très grande…

— C’est vous, dit-il, pointant son crayon sur cette dernière figure. À côté, votre grand-mère défunte.

Je le regarde en face :

— Nous allons bien voir.

Il soutient mon regard.

— Avez-vous confiance en moi ?… Laissez-moi faire. Nous allons changer cela.

Il a, en effet, tout changé.

Il n’y a mis que quelques semaines, le temps pour maman de bouleverser toute la maison, de découvrir avec des cris de ravissement une vieille armoire qui est depuis toujours dans la cuisine et qui va être bien étonnée d’être bonnetière dans un salon, le temps pour lui d’aller à Paris, d’en revenir avec une auto remplie de cartons de couleurs si tendres, si fragiles, qu’ils donnent tout son sens à ce mot « frivolités ».

Il suffit donc de ces chiffons pour métamorphoser une vie ! Il y a un mois, j’étais une bossue triste économisant la tristesse de son existence près d’une bonne revêche. Mais comme le soleil est clair, maintenant, et l’herbe verte ! Comme il rôde de la gaîté dans le verger !

J’ai des robes, des manteaux, des costumes, des fourrures, des souliers plus souples que des gants et des bas féériques. Je parais plus grande et mes épaules sont parfaitement dissimulées dans des choses variées, mais toujours jolies. Mais ce qu’il a changé, c’est moi.

J’ai envie de courir, de danser.

Et pourquoi ne danserais-je pas ?

Et les gens s’étonnent, s’indignent presque, qu’étant