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LA LOI DU SUD

tenant, il allait se raser. Il se cognait naturellement à un tabouret. Si sûr de lui d’apparence, il était cependant d’une gaucherie étonnante.

Elle l’imaginait grimaçant devant la glace, une joue nette et luisante, l’autre gonflée et couverte de mousse. Cela ne l’enlaidissait pas. Du reste, il n’était pas beau. Ou, plutôt, il avait cette sorte de beauté secrète qui ne se dévoile pas du premier coup et qu’il faut longtemps déchiffrer.

Elle l’avait aimé en bloc, tel qu’il était, puis elle avait goûté le charme de ce front trop vaste qu’une ride barrait comme une cicatrice aux heures d’indignation. Elle s’était attendrie ensuite sur son teint de miel et ses cheveux auxquels le soleil donnait la couleur de ces pains de campagne que l’on sort du four. Sa bouche moqueuse et large l’avait séduite d’emblée, mais ce n’est que dernièrement qu’elle avait découvert la joliesse de sa nuque pareille à celle d’un jeune enfant quand un invisible sculpteur la modèle dans une chair douce. Son grand corps allait bien avec une âme un peu sauvage, quelquefois tyrannique, mais droite, ardente, amoureuse des mirages.

Brigitte faisait semblant de dormir pour mieux compter, en avare, les trésors de sa joie.

Dans quelques minutes, il allait venir vers elle et prononcerait son nom d’une voix grave, un peu voilée.

Il effleurerait à peine son front. Cette réserve, dont certaines femmes auraient souffert, était pour elle une preuve d’amour. Elle n’était pas une de ces sottes qui jugent la ferveur d’un mari sur ses paroles.

Ils parlaient peu de leur amour. Ils évitaient les baisers faciles lorsqu’ils se retrouvaient ou se quittaient, mais le moindre contact, lorsque leurs doigts se rencontraient par hasard, les faisait frémir.

La certitude qu’elle était tout pour lui, elle la puisait dans son regard clair, dans sa gaîté.

Elle tendit l’oreille. Pourquoi n’était-il pas auprès