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— Et s’il te quitte ?

— Jamais je ne reviendrai vers toi.

Il sut qu’elle était sincère. Il jura à haute voix, faisant retourner vers lui deux paisibles promeneurs. Mais Annette ne broncha pas, insensible au scandale qu’il pouvait faire. Elle avait atteint un point où tout lui semblait indifférent.

Elle n’avait plus peur de l’homme qui marchait à côté d’elle. En supprimant ses possibilités de chantage, elle croyait l’avoir désarmé. Si à cet instant elle eut regardé l’expression qui déformait son visage elle eut changé d’avis.

Mais elle marchait droit devant elle, comme un automate et c’est avec une réelle surprise qu’elle s’aperçut tout à coup qu’il l’avait quittée en chemin.

Elle eut un soupir de soulagement.

De ce côté-là, l’affaire était réglée.

C’est d’un pas plus léger qu’elle franchit la porte du Régina. D’un fauteuil confortable surgit Gil Ray. Selon les meilleures traditions, il portait une culotte de golf et des lunettes cerclées d’écaille. Il l’interpella joyeusement :

— Hello ! Je savais bien que vous vous décideriez.

— En effet. Je vous écoute.

— Cinquante mille « casch » pour l’achat de votre œuvre. Le double pour faire les dialogues.

— Est-ce tout ? rit-elle, ahurie par l’énoncé de ces chiffres extravagants.

— Non !

Il la regardait avec une étrange fixité. Elle était plus que jolie, curieuse, très personnelle, merveilleusement proportionnée. Et son regard était le plus chaud, le plus expressif, le plus étrange aussi qu’il eut jamais vu.

— Non, continua-t-il. Ce n’est pas tout. Je vous offre un beau contrat si vous voulez tenir le rôle de l’héroïne.

Elle sursauta :

— Moi ! Quelle idée ridicule !

— Pas tant que cela ! On a dû vous dire souvent que vous ressembliez à une petite fille, on a dû voir en vous la femme-enfant rêvée. Mais je suis certain que vous êtes autre chose. Vous seriez une criminelle rêvée.

Elle se leva, réellement en colère cette fois.

— Cela suffit, Monsieur. Cette conversation me semble déplacée…

— Voyons, je parle cinéma. Vous feriez une criminelle pour l’écran. Ne soyez pas choquée.

— En tout cas, laissons votre dernière proposition de côté… Pour le reste, je suis d’accord.

— Parfait. Vous n’avez qu’à signer ce contrat.

Elle s’étonna :

— Vous étiez si sûr de mon acceptation ?

— Certain. Vous voyez que j’avais raison. J’ai même préparé un chèque.

Cinq minutes plus tard, l’affaire était conclue, ils échangèrent une poignée de main.

Annette sentit qu’elle avait très faim.

Depuis longtemps l’heure du déjeuner était passée. Elle se dirigea vers le salon de thé vide à cette heure. Elle finissait de se restaurer lorsqu’elle vit son mari arrêté devant l’éventaire de la fleuriste qui se tenait dans le hall. Il choisissait des œillets pourpres… des œillets, les seules fleurs pour lesquelles Annette se sentait une véritable répugnance. C’était