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aux-Chevaux, commanda Martine.

C’est là, où le pont avait été enlevé la veille, qu’ils jetèrent, dans le fleuve tumultueux, le cadavre de Brigitte Hallier sorti de la toile cirée qui l’enveloppait.

Personne ne les avait vus, ils en étaient sûrs…

Peut-être échapperaient-ils au scandale, à la justice, au châtiment…

Ils rentrèrent sans échanger un seul mot.

Déjà l’aube froide et violette donnait aux choses une vie nouvelle.

— Maintenant, il faut te coucher, Annette, dit Jacques. Tu ne tiens plus debout.

Sans attendre sa réponse, il la prit par le bras et l’entraîna dans sa chambre.

Dès qu’elle fut étendue sur son divan, elle attira son mari vers elle :

— Il faut que je te dise tout…

— Oui. Nous ne devons plus rien avoir de caché l’un pour l’autre, si cruelle que doive être la réalité.

— Quand tu m’as connue, je t’ai aimé tout de suite, tu le sais. Et tu m’as aimée. Ta venue dans mon existence était si miraculeuse que je n’ai pas eu le courage de refuser la destinée que tu m’offrais. Or, à ce moment, j’ai été lâche. Te dire les heures et les drames que j’avais vécu fut au-dessus de mes forces.

En prononçant ces mots elle avait l’air si désespérément grave que Jacques, incapable de la voir souffrir, eut envie de lui dire de se taire. Mais il se retint ; il savait que l’existence ne serait plus possible entre eux, s’ils n’étaient maintenant d’une franchise absolue.

— J’ai été jusqu’à dix ans, une petite fille très heureuse, continua Annette. Mon père était médecin, nous vivions dans l’aisance. J’étais gâtée autant qu’on peut l’être. Puis, tout changea. Mes parents ne s’entendirent plus. Je ne sais au juste comment cela commença. Ma mère était une très belle femme et mon père en était jaloux. C’était un être faible, qui promettait sans tenir, disait une chose et en faisait une autre. Au fond de lui-même il détestait cette profession, lourde de responsabilités, qu’il avait embrassée. Ma mère se détacha de lui. Elle en aima un autre. Eut-elle l’intention de quitter son foyer et d’abandonner son enfant ? Mon père le prétendit et des lettres en firent foi au procès.

Quoi qu’il en soit, il dut en être certain, puisqu’il tua ma mère, une nuit, au cours d’une scène d’une telle violence que les échos m’en parvinrent jusque dans mon petit lit d’enfant.

La main de Jacques serra celle d’Annette fortement comme s’il eut voulu lui passer un peu de force. Elle répondit à sa pression tout en continuant son récit :

— Mon père en prison, ma mère morte, un vague parent me mit dans une pension en Suisse. Je ne sus que plus tard que mon père avait été acquitté. Les crimes passionnels paient moins chers que les autres, bien qu’ils soient aussi affreux…

L’image de Brigitte, qu’emportaient les flots, passa devant eux…

— Mais il ne demanda pas à me revoir. Peut-être ne s’en sentait-il pas le courage car je lui