Mon amour est à l’apogée de sa flamme. La beauté de celle qui captive mon âme (la Divinité) est complète. Mon cœur parle, mais ma langue, restée muette, refuse d’exprimer mes sentiments. Grand Dieu ! a-t-on jamais vu chose plus étrange ? Je suis dévoré par la soif, et devant moi coule une eau fraîche et limpide [1] !
Mets une coupe de vin dans ta main, puis mêle ta voix à celle des rossignols, car s’il était convenable de boire ce jus de la treille sans accompagnement d’aucune voix harmonieuse, le vin ne ferait lui-même aucun bruit en coulant hors du flacon[2].
Garde-toi de désespérer jamais, pour un crime commis, de la clémence du souverain Créateur, de ce maître miséricordieux ; car mourrais-tu, aujourd’hui, dans l’état de la plus complète ivresse, que demain il pardonnerait tout à tes os putréfiés[3].
Ô roue des cieux ! ta course circulaire ne me satisfait pas. Délivrem’en donc, car je suis indigne de ta chaîne. Si ton bon plaisir consiste à n’accorder tes faveurs qu’aux pauvres d’esprit, aux idiots, je ne suis ni assez intelligent, ni assez savant (pour en être frustré).
- ↑ Khèyam, dans son extase, ne trouvant pas de termes assez vigoureux pour exprimer les flammes ardentes de son amour passionné pour la Divinité, se compare à un homme dévoré par une soif brûlante, et qui, paralysé de tous ses membres, ne peut se désaltérer dans le fleuve qui coule près de lui.
- ↑ Allusion à ceux des fidèles qui, pour être à l’abri du blâme, boivent du vin en cachette et sans bruit. Le poëte semble leur demander si le glouglou du flacon ne parle pas assez haut pour démasquer leur hypocrisie.
- ↑ Ce quatrain fait la contre-partie des versets du Koran où il est dit qu’il n’y a point de pardon pour ceux qui s’écartent de la doctrine islamique. (Voyez chapitre La vache, versets 6, 9, 14 et 37, et beaucoup d’autres passages du Koran.) Que reste-t-il de l’homme, selon Khèyam, après sa mort ? De la poussière. Dieu, qu’a-t-il à pardonner à cette poussière, puisque l’esprit qui l’animait est remonté à lui ?