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LES QUATRAINS DE KHÈYAM.


281

Jusques à quand aurons-nous à rougir de l’injustice des autres ? Jusques à quand brûlerons-nous dans le feu de ce monde insipide[1] ? Lève-toi, bannis loin de toi le chagrin de ce monde, si tu es homme ; c’est aujourd’hui fête, viens, buvons du vin couleur de rose.


282

Je suis en guerre continuelle avec mes passions, mais que faire ? Le souvenir de mes actes me cause mille douleurs, mais que faire ? J’admets que dans ta clémence tu me pardonnes mes fautes, mais la honte de savoir que tu sais ce que j’ai fait, cette honte-là reste, que faire[2] ?


283

Ô mon âme[3] ! nous formons à nous deux le parallèle d’un compas. Bien que nous ayons deux pointes, nous ne faisons qu’un corps[4]. Actuellement, nous tournons sur un même point et décrivons un cercle, mais le jour final viendra où ces deux pointes se réuniront.


284

Puisque ce monde n’est point pour nous un séjour permanent, ce serait une faute énorme que de nous y priver de vin, de nous y abstenir des faveurs de notre bien-aimée[5]. homme pacifique ! jusques à quand ces discussions sur la création ou sur l’éternité du monde ? Quand je n’y serai plus, que m’importe qu’il soit ancien ou moderne ?

  1. Le texte dit : [Texte en persan], « incolore, qui n’a pas de reflet, d’attrait, qui n’a pas de raison d’être, insipide, nul, etc. »
  2. Nous avons déjà vu plusieurs fois que souvent Khèyam, pour rendre l’épigramme plus sensible, se parle à lui-même, ou parle de lui-même. Selon le poëte, si la Divinité, dans sa clémence, pardonne les fautes passées, ce pardon ne saurait effacer dans la mémoire du coupable le souvenir de les avoir commises. La conscience des moullahs, qui, sous le manteau de la dévotion, commettent toutes sortes d’actes répréhensibles, ne saurait donc être tranquille ni dans ce monde, ni dans l’autre, perplexité cruelle pour eux et à laquelle se sont soustraits les soufis en faisant réabsorber l’âme dans l’essence divine.
  3. C’est-à-dire : Ô Dieu ! toi qui m’es aussi cher que l’âme qui m’anime.
  4. Le mot tête, en persan, étant synonyme de pointe, Khèyam dit : « Bien que nous ayons deux têtes, nous ne faisons qu’un corps, » ce qui donne au quatrain du texte une originalité qu’on ne saurait reproduire en français.
  5. Hommage à la Divinité, toujours sous forme de désirs sensuels.