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LES QUATRAINS DE KHÈYAM.


341

Mon pauvre cœur, plein de douleur et de folie, n’a pu être affranchi de l’ivresse où l’a plongé l’amour de ma bien-aimée[1]. Oh ! le jour où le vin de cet amour a été distribué, ma portion a été sans doute puisée dans le sang de mon cœur[2] !


342

Boire du vin et rechercher les beaux visages est un parti plus sage que celui d’user d’hypocrisie et d’apparente dévotion. Il est évident que, s’il existe un enfer pour les amoureux et les buveurs, personne ne voudra du paradis.


343

Méprise les paroles des femmes coquettes, mais accepte du vin limpide de la main de celles dont la toilette est irréprochable[3]. (Tu le sais,) tous ceux qui ont fait leur apparition en ce monde sont partis les uns à la suite des autres, et il n’est donné à personne de t’en montrer un seul qui soit revenu.


344

Il ne faut point se résoudre à flétrir par le chagrin un cœur joyeux, à broyer sous la pierre des tourments nos instants d’allégresse. Personne ne pouvant nous dire ce qui adviendra, ce qu’il faut donc, c’est du vin, c’est une maîtresse chérie[4] et du repos au gré de nos souhaits.


345

Oui, il est beau de jouir d’une bonne renommée ; il est honteux de se plaindre de l’injustice du ciel ; il est plus beau de s’enivrer du jus du raisin que de s’enorgueillir d’une fausse dévotion[5].

  1. La Divinité.
  2. « Puiser du sang dans son cœur, boire le sang de son cœur ou de son foie » sont des expressions souvent employées par Khèyam et qui marquent la douleur la plus vive. (Voyez note 2, quatrain 332.)
  3. Les orientalistes pourront vérifier dans le texte la sorte de beauté que le poète décrit par ces mots : [Texte en persan], que nous traduisons par : celles dont la toilette est irréprochable.
  4. C’est-à-dire : la Divinité.
  5. Réponse railleuse aux sermons du clergé musulman, auquel le poète reproche constamment d’user d’hypocrisie pour capter la confiance des croyants.