Ô Dieu ! sois miséricordieux pour mon pauvre cœur prisonnier ; sois miséricordieux pour mon sein, susceptible de contenir le chagrin ; pardonne à mes pieds, qui me conduisent à la taverne ; pardonne à ma main, qui saisit la coupe[1] !
Ô Dieu ! délivre-moi de ce calcul sur le plus ou le moins (des choses de ce monde), fais que je me préoccupe de toi, en m’affranchissant de moi-même. Tant que j’ai ma saine raison, le bien et le mal me sont connus : rends-moi ivre et débarrasse-moi ainsi de cette connaissance du bien et du mal.
Cette roue des cieux court après ma mort et la tienne, ami ; elle conspire contre mon âme et la tienne[2]. Viens, viens t’asseoir sur le gazon, car bien peu de temps nous reste encore avant que d’autre gazon germe de ma poussière et de la tienne.
Lorsque mon âme et la tienne nous aurons quittés, on placera une paire de briques sur ma tombe et la tienne. Puis, pour couvrir les tombes des autres avec d’autres briques, dans le moule du briquetier on jettera ma poussière et la tienne.
Ce château qui par sa splendeur rivalisait avec les cieux, ce château où les souverains se succédaient à l’envi, nous avons vu une tourterelle s’y poser et sur ses créneaux en ruine crier : « Kou kou, kou kou[3]. »
- ↑ Satire à propos du dernier jour. Le poëte, par cette prière en faveur de ses membres, fait malicieusement rassortir que Dieu n’a rien à pardonner, rien à accorder à la matière, redevenue inerte après sa séparation d’avec l’âme, laquelle rentre dans l’essence divine , dont elle n’a jamais été séparée.
- ↑ Âme et vie sont synonymes en persan ; ici ce mot doit être pris dans la seconde acception.
- ↑ Kou est l’abréviation de koudja, « où, où est-il ? » La tourterelle criait donc, sur les créneaux de ce palais en ruine : « Où sont tous ces grands rois qui l’ont habité ? Où sont leurs richesses ? Où est leur majesté, où est leur gloire ? »
