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xv
PRÉFACE

« Tu as brisé ma cruche de vin, mon Dieu ! tu as ainsi fermé sur moi la porte de la joie, mon Dieu ! c’est moi qui bois, et c’est toi qui commets les désordres de l’ivresse ! Oh ! (puisse ma bouche se remplir de terre !) serais-tu ivre, mon Dieu[1] ? »

Le poëte, après avoir prononcé ce blasphème, jetant les yeux sur une glace, se serait aperçu que son visage était noir comme du charbon. C’était une punition du ciel. Alors il fit cet autre quatrain non moins audacieux que le premier, et qui exprime d’une manière absolue la répulsion du poëte pour la doctrine des peines futures, décrites dans le Koran, et prêchées si chaleureusement par les moullahs. Les soufis considèrent cette doctrine, non-seulement comme le renversement de la leur, mais encore comme indigne de la miséricorde et de la clémence de la Divinité. Voici ce quatrain :

« Quel est l’homme ici-bas qui n’a point commis de péché, dis ? Celui qui n’en aurait point commis, comment aurait-il vécu, dis ? Si, parce que je fais le mal, tu me punis par le mal, quelle est donc la différence qui existe entre toi et ce moi, dis ? »

Mais arrivons au livre lui-même, à la pensée complète du poëte qui se déduit si énergiquement et avec tant d’unité à travers les fantaisies ou les rudesses de ses quatrains.

  1. Oh ! puisse ma bouche se remplir de terre ! expression que les Persans emploient souvent pour exprimer le regret d’avoir proféré ou d’être obligé de proférer un blasphème, ou simplement de prononcer un mot irrévérencieux. (Voir, dans le texte persan, le quatrain 388 et la note qui l’accompagne.)