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LES QUATRAINS DE KHÈYAM.


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Toi qui ne bois pas de vin, ne blâme pas pour cela les ivrognes, car je suis prêt, moi, à renoncer à Dieu, s’il m’ordonne de renoncer au vin. Tu te glorifies de ne point boire de vin, mais cette gloire sied mal à qui commet des actes cent fois plus répréhensibles que l’ivrognerie [1].


13

Bien que ma personne soit belle, que le parfum qui s’en exhale soit agréable, que le teint de ma figure rivalise avec celui de la tulipe, et que ma taille soit élancée comme celle d’un cyprès, il ne m’a pas été démontré, cependant, pourquoi mon céleste peintre a daigné m’ébaucher sur cette terre [2].


14

Je veux boire tant et tant de vin que l’odeur puisse en sortir de terre quand j’y serai rentré, et que les buveurs à moitié ivres de la veille qui viendront visiter ma tombe puissent, par l’effet seul de cette odeur, tomber ivres-morts [3].


  1. Attaque directe contre les moullahs, dont les actes quelquefois s’accordent peu avec leur hypocrite extérieur, objet des railleries perpétuelles du poëte.
  2. Les écrivains soufis, dans leur imagination poétique, ont fait de Dieu, créateur par sa parole, un peintre divin qui, le , pinceau à la main, a peint dans son éternité, sur le , tablette de la création, toutes les créatures de l’univers. Par cette expression : Bien que ma personne soit belle, etc. le poète fait allusion au verset 3 du Koran, chapitre La fourberie, où il est dit que Dieu a donné une forme agréable à l’homme.
  3. Ce quatrain, qu’on serait tenté de considérer comme essentiellement épicurien, s’il ne sortait de la plume de Khèyam, est cependant allégorique et se rapporte à Dieu. Notre poëte veut être entièrement absorbé dans l’amour divin, et servir d’exemple à ceux qui restent après lui ; il veut que, comme lui, méprisant les choses mondaines, ils se livrent corps et âme à la seule chose ici-bas digne de préoccuper un esprit sage, à la Divinité.