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LES QUATRAINS DE KHÈYAM.


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Avant toi et moi, il y a eu bien des crépuscules, bien des aurores, et ce n’est pas sans raison que le mouvement de rotation a été imprimé aux cieux. Sois donc attentif quand tu poseras ton pied sur cette poussière, car elle a été sans doute la prunelle des yeux d’une jeune beauté.

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Le temple des idoles et la kaaba sont des lieux d’adoration, le carillon des cloches n’est autre chose qu’un hymne chanté à la louange du Tout-Puissant. Le mehrab[1], l’église, le chapelet, la croix sont en vérité autant de façons différentes de rendre hommage à la Divinité[2].

31

Les choses existantes étaient déjà marquées sur la tablette de la création. Le pinceau (de l’univers) est sans cesse absent du bien et du mal[3]. Dieu a imprimé au destin ce qui devait y être imprimé ; les efforts que nous faisons s’en vont donc en pure perte[4].

  1. Chaire mahométane dans les mosquées. Elle est toujours tournée du côté de la Mecque.
  2. Selon les soufis, toutes les religions sont également bonnes ou indifférentes, car dans toutes on peut, en pratiquant l’amour divin, être soufi et atteindre le suprême bonheur, qui consiste à opérer sa jonction avec la Divinité. Jésus-Christ, selon eux, était soufi et avait atteint le troisième degré du soufisme, ce qui le mettait en communication directe avec Dieu, et il possédait, par conséquent, le don de faire des miracles. Les chrétiens, ajoutent les écrivains soufis, ne seraient pas dans l’hérésie en croyant que Jésus-Christ est l’égal de Dieu ; mais ils sont dans l’hérésie s’ils croient que Jésus-Christ est le seul Dieu. C’est cette indifférence des soufis pour toutes les formes extérieures du culte et pour la plupart des dogmes religieux qui a fait dire aux docteurs de l’islamisme qu’ils n’avaient aucune religion.
  3. Dieu, en créant le monde dans son éternité, n’a eu en vue ni le bien ni le mal, disent les docteurs soufis ; rien n’est mal dans l’univers, selon eux, tout y est à la place que lui a assignée le destin. Le mal ne vient pas de Dieu, mais bien de l’homme, et il n’existe que par relation. Le pinceau de la création n’a donc tracé ni l’un ni l’autre.
  4. Le célèbre Envery, qui appartenait à la secte (panthéisme cosmologique), laquelle n’est qu’une des nombreuses branches du soufisme, a exposé en très-beaux vers la même pensée dans son Divan, ou Recueil de ses œuvres complètes, qui respire dans toute son étendue un fatalisme révoltant. Voici quelques vers que j’extrais de ce Divan et qui donneront une idée du reste de l’ouvrage :


    « Si ce n’est pas le destin qui dirige les choses de ce monde, pourquoi les projets que forment les hommes se réalisent-ils contrairement à leurs désirs ? Oui, c’est le destin qui conduit fatalement les hommes vers le bien comme vers le mal, et c’est pourquoi les mesures qu’ils prennent frappent toujours à faux. »