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LES QUATRAINS DE KHÈYAM.


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Bien longtemps la coupe en main je me suis promené parmi les fleurs, et cependant aucun de mes projets ne s’est réalisé dans ce monde ; mais, bien que le vin ne m’ait pas conduit au but de mes désirs, je ne dévierai pas de cette voie, car lorsqu’on suit une route on ne revient pas en arrière.


54

Mets une coupe de vin dans ma main, car mon cœur est enflammé, et cette vie fuit comme fuit le vif-argent. Lève-toi donc, car la faveur de la fortune n’est qu’un songe[1] ; lève-toi, car le feu de la jeunesse s’échappe comme l’eau du torrent.


55

Nous, nous sommes les idolâtres de l’amour, les musulmans sont autres que nous ; nous sommes de chétives fourmis, Salomon, lui, est autre chose[2]. Demande-nous un visage pâli par l’amour, et des hardes en lambeaux, car le marché des étoffes de soie est ailleurs qu’ici.


56

Boire du vin et me réjouir, c’est ma manière d’être. Être indifférent pour l’hérésie comme pour la religion, c’est mon culte. J’ai demandé à cette fiancée du genre humain (le monde) quelle était sa dot[3] ; elle me répondit : Ma dot consiste dans la joie de ton cœur.


  1. Dans le texte il y a [Texte en persan], le réveil de la fortune n’est qu’un songe. Réveil signifie ici faveur. Songe et sommeil, en persan, sont identiques, de sorte qu’on pourrait aussi traduire : Le réveil de la fortune n’est qu’un sommeil.
  2. Ici le poëte fait allusion à l’exiguïté de ses moyens mondains, et prie la Divinité d’accepter l’humble offrande de son cœur meurtri par l’amour divin, et de ne point lui demander autre chose des biens de ce monde que ses vieilles hardes. Salomon, dit la tradition persane, était le roi des animaux. Un jour, étant sur son trône, tous les animaux vinrent le saluer et lui apporter chacun une offrande proportionnée à leurs moyens. La fourmi ne put lui présenter qu’une patte de sauterelle dix fois plus grosse qu’elle, et Salomon s’en contenta. Mais lui, Khèyam, n’a pas même les moyens d’être auprès de la Divinité aussi prodigue que l’a été la fourmi envers le roi des animaux.
  3. Le kabïn, [Texte en persan], dot, n’est pas précisément la dot, telle qu’elle existe chez nous. Il représente une certaine somme que le musulman qui se marie promet par contrat de mariage à la personne qu’il épouse. II est toujours proportionné à l’importance, au rang de la fiancée, qui n’a le droit de le réclamer qu’en cas de divorce.