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LES QUATRAINS DE KHÈYAM.


57

Je ne suis digne ni de l’enfer, ni du séjour céleste ; Dieu sait de quelle terre il m’a pétri. Je suis hérétique comme un derviche[1], laid comme une femme perdue ; je n’ai ni religion, ni fortune, ni espérance du paradis.


58

Ta passion, homme, ressemble en tout à un chien de maison ; il n’en sort que des sons creux. Elle contient la ruse du renard, elle procure le sommeil du lièvre[2], elle réunit en elle la rage du tigre et la voracité du loup.


59

Qu’elles sont belles, ces verdures qui croissent aux bords des ruisseaux ! On dirait qu’elles ont pris naissance sur les lèvres d’une angélique beauté. Ne pose donc pas sur elles ton pied avec dédain, puisqu’elles proviennent du germe de la poussière d’un visage coloré du teint de la tulipe.


60

Chaque cœur que (Dieu) a éclairé de la lumière de l’affection, que ce cœur fréquente la mosquée ou la synagogue, s’il a inscrit son nom dans le livre de l’amour il est affranchi et des soucis de l’enfer et de l’attente du paradis.

  1. Ce quatrain est une ironie amère et piquante à l’adresse des docteurs de l’islamisme. Khèyam répète ici lui-même, en les narguant, ce que les moullahs ne cessent de dire sur son compte et sur celui de ses confrères, les derviches, qu’ils représentent en toute circonstance comme des hérétiques méprisables n’ayant ni foi, ni loi, affichant impunément leur indifférence coupable pour toutes les religions, n’en professant ostensiblement aucune, et qui, sous le manteau de l’amour divin et de leur prétendue béatitude mentale, recherchent plus que personne les plaisirs sensuels. Par ces mots : Je n’ai… ni fortune, ni espérance du paradis, Khèyam fait allusion à l’hypocrisie des docteurs musulmans, qui prêchent, du haut de leur chaire, à leurs ouailles dociles la pratique de l’humilité et le mépris des richesses de ce monde comme le plus sûr moyen de gagner le paradis, et qui, cependant, étalent un luxe et des prétentions qui démentent leur prédication.
  2. Endormir quelqu’un du sommeil du lièvre signifie l’abuser, le tromper. On dit dans le même sens : Coucher quelqu’un dans le lit d’un torrent, l’endormir sur l’oreille d’un bœuf, l’appuyer contre un roseau.