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LES QUATRAINS DE KHÈYAM.


133

Ne renonce pas à boire du vin, si tu en possèdes, car cent repentirs suivent une pareille résolution. Les roses déchirent leurs corolles[1], les rossignols remplissent l’air de leurs chants, serait-il raisonnable de renoncer à boire dans un semblable moment[2] ?


134

Tant que l’ami (Dieu) ne me versera pas de ce vin qui réjouit l’âme[3], tant que les cieux ne déposeront pas sur ma tête et sur mes pieds cent baisers, on aura beau, lorsque le moment en sera venu[4], m’inviter à renoncer au vin, comment pourrais-je y renoncer, Dieu ne me l’ayant pas ordonné[5] ?


135

Quiconque a de la constance ne renoncera pas à boire du vin, car le vin renferme en soi la vertu de l’eau de la vie[6]. Si quelqu’un y renonce durant le mois de rèmèzan, qu’il s’abstienne au moins de l’obligation des prières [7].

  1. C’est-à-dire : s’épanouissent.
  2. Ironie véhémente contre les moullahs, qui prêchent le jeûne et invitent les fidèles à renoncer au vin, chose abominable aux yeux delà Divinité, disent-ils, et qui ferme à tout jamais l’entrée du paradis.
  3. C’est-à-dire : Tant que Dieu ne me débarrassera pas de mon corps, pour que mon âme puisse se joindre à lui.
  4. C’est-à-dire : Quand nous serons au mois sacré de rèmèzan.
  5. Allusion maligne à la prédestination dont est empreint le Koran. Voyez, entre autres versets, le 55e du chapitre Du manteau, où il est dit : « Les élus du Seigneur « seuls écouteront les avertissements divins ; » ou le 28e du chapitre Des ténèbres, où on lit : « Mais vous n’aurez point cette volonté si « Dieu ne vous la donne ; » ou encore le 22e du chapitre De la génuflexion, où il est dit, en parlant de celui que le flambeau de l’islamisme n’éclaire pas : « Dieu a scellé ses oreilles et son cœur. Il a mis un voile sur ses yeux. Qui l’éclairera après que Dieu l’a égaré ? »
  6. [Texte en persan], eau de la vie. Elle se trouve dans le [Texte en persan], contrée ténébreuse du globe terrestre, et donne l’immortalité à celui qui peut en boire. Khézr, que plusieurs historiens orientaux confondent avec Élie, mais qui, selon l’auteur de Muntèkhèb-el-Tévarikh, était un prophète du temps de Kéy-Kobad, ayant découvert la source de cette eau, en but à longs traits et se rendit immortel (voyez D’Herbelot, Bibliothèque orientale, au mot Khedher). Alexandre, disent les auteurs persans, poussa ses conquêtes jusque dans ces contrées lointaines, dans le but de s’assurer cette immortalité ; mais il s’égara dans la région des ténèbres et ne put pénétrer jusqu’à la source qu’il cherchait avec tant de persistance.
  7. Selon notre poëte, toujours railleur à l’endroit des préceptes du Koran et de ceux qui les professent, il serait trop pénible de pratiquer ces deux choses durant le rèmèzan : se priver de vin et s’astreindre à la prière.