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ITINÉRAIRE DES CAPTIFS

n’entends que les craquements des glaçons charriés par le fleuve que l’on traverse, et j’avoue que ces moments furent pour moi bien cruels ; car tout ce mystère, ce silence, ces horribles précautions, ne m’annonçaient que trop que j’étais envisagé comme un criminel d’État, honoré d’une haine particulière de l’impératrice, par les ordres de laquelle on agissait ainsi sans nul doute. Je m’efforçai de m’armer de tout mon courage ; et tout le temps de la traversée j’eus dans l’esprit le Justum et tenacem d’Horace. Mais le poète romain, en nous recommandant la fermeté, chantait ses beaux vers tout à son aise dans sa charmante campagne de Sabine, couché mollement sur un sopha, auprès de sa chère Lalage. Accablé comme moi de chaînes, au moment d’être jeté peut-être pour toujours dans un cachot, les aurait-il faits ? — J’en doute. — Au bout d’une demi-heure, la barque toucha au rivage et je me trouvai au pied d’une muraille qui formait le flanc d’un bastion. C’est donc dans une forteresse, me disais-je, que je vais être enfermé. Mes conducteurs me firent passer le long de cette muraille, puis par une cour spacieuse, en face d’un grand escalier éclairé. Tout y paraissait dans un grand mouvement. Des officiers civils et militaires, couverts de pelisses superbes, montaient et descendaient ; on me renvoya d’abord par un autre che-