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vie de prison.

sans cesse les privilèges de sa charge, qui consistaient à pouvoir battre à volonté ses pauvres soldats. Rarement un seul jour se passait-il sans que j’eusse le spectacle de ces horribles exécutions. Elles se faisaient devant les casemates, vis-à-vis de ma fenêtre : on dépouillait le malheureux de son uniforme, et, tandis que le praporszczyk tenait en main sa montre, un sergent et un caporal, armés de baguettes grosses comme le doigt, frappaient alternativement. Souvent la chemise du malheureux était tout en sang. Le cœur serré, je détournais les yeux, je m’éloignais de la fenêtre ; mais les cris de ces pauvres gens me poursuivaient et me déchiraient l’âme. La punition ne se mesure pas en Russie par le nombre de coups , mais par le temps. On bat un quart d’heure, vingt minutes, une demi-heure, et quelquefois plus. Tout autre qu’un Russe expirerait sous un pareil supplice.

Plus d’une fois, j’ai fait au praporszczyk des remontrances sur sa conduite barbare ; je m’épuisais en arguments, je tâchais d’émouvoir son humanité, sa pitié ; mais je préchais à un sourd. Il me répondait toujours que c’était la coutume, qu’il devait faire comme les autres, et qu’ayant été soldat, et ayant lui-même reçu des milliers de coups de bâton, il savait par expérience que cela ne faisait pas autant de mal qu’on le croyait.