Page:Niemcewicz - Notes sur ma captivité à Saint-Pétersbourg.djvu/195

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
170
ÉLARGISSEMENT.

lèvres tremblaient. « Le caporal, me dit-il, m’a rapporté que vous ne vouliez pas rendre le flacon. — Non, car je puis en avoir besoin à tout moment. » — « Cela ne se peut pas ; il faut le rendre tout de suite. » — « Je ne le rendrai pas. » — « Comment ! vous faites le rebelle ? j’emploierai la force. » — « Essaie, si tu l’oses ; » et cela disant, je mis le flacon dans ma poche. — « Caporal, s’écrie-t-il, avec fureur, reprends-lui le flacon. » Celui-ci s’approche et veut me saisir par le bras, mais soudain je me retourne, je m’empare de ma chaise et je suis prêt à la lancer ; en même temps je pousse des cris à faire trembler la prison. Là-dessus, mes assaillants se retirent, et le praporszczyk me menace d’en faire son rapport au procureur général. « Et moi, je prends la plume pour lui écrire aussi, lui répondis-je, je ferai plus, j’écrirai à l’impératrice elle-même. » Je parlais exprès de l’impératrice pour dérouter mon drôle, et lui enlever tout soupçon sur ce que je pouvais avoir appris du changement qui venait d’arriver. En moins d’une demi-heure, j’avais préparé mes deux lettres, l’une pour Makarow et l’autre pour le procureur général. J’envoyais chercher de la lumière et de la cire d’Espagne pour les cacheter, lorsque mon goujat, aussi poltron qu’insolent, persuadé désormais que je ne plaisantais pas, vint de lui-même et fit sortir le soldat ; il était devenu