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ÉLARGISSEMENT.

par le jeu, vain, et accoutumé au luxe, il sacrifia à sa cupidité et à son ambition tous les devoirs d’un citoyen.

Je profitai des premiers moments de ma liberté pour aller voir mes amis et compagnons d’infortune. Je fus d’abord chez le maréchal Potocki. Je le trouvai plus défait encore, s’il est possible, que Mostowski. Nouvelle scène d’attendrissement et de larmes ; il voulut voir la cicatrice de ma blessure, et la baisa. De là, je fus chez Kosciuszko : il était étendu sur une chaise longue, la tête enveloppée de bandages, et une jambe entièrement morte ; mais ce qui m’affecta encore plus, c’était sa voix presque éteinte et un grand désordre dans toutes ses idées. Il paraissait frappé de terreur, ne parlait que très-bas, et, quand nous élevions la voix, nous faisait des signes avec son doigt pour nous avertir que les domestiques étaient aux écoutes dans l’antichambre, et qu’ils étaient tous espions. Après les premiers embrassements et félicitations réciproques, il me dit : « Je sais que vous avez beaucoup souffert ; il faut achever le sacrifice ; il faut me faire une grâce, me promettre d’aller avec moi en Amérique. » — « Vous savez mon attachement pour vous, lui dis-je ; mais, après tant de malheurs, après une si longue absence de chez moi, il me serait doux de revoir la maison paternelle et d’arranger mes affaires domestiques,