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Page:Nietzsche - Aurore.djvu/114

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AURORE

107.

Notre droit à nos folies. — Comment doit-on agir ? Pourquoi doit-on agir ? — Pour les besoins prochains et quotidiens de l’individu il est facile de répondre à ces questions, mais plus on entre dans un domaine d’actions plus subtiles, plus étendu et plus important, plus le problème devient incertain et soumis à l’arbitraire. Cependant, il faut qu’ici précisément soit écarté l’arbitraire dans la décision ! — c’est ce qu’exige l’autorité de la morale : une crainte et un respect obscurs doivent guider l’homme sans retard dans ces actes dont il n’aperçoit pas de suite le but et les moyens ! Cette autorité de la morale lie la pensée, dans les choses où il pourrait être dangereux de penser faux : — c’est ainsi du moins que la morale a l’habitude de se justifier devant ses accusateurs. « Faux, » cela veut dire ici « dangereux » —, mais dangereux pour qui ? Ce n’est généralement pas le danger de l’action que les promoteurs de la morale autoritaire ont en vue, mais leur danger à eux, la perte que pourraient subir leur puissance et leur influence, dès que le droit d’agir d’après la raison propre, grande ou petite, serait accordé à tous, follement et arbitrairement : car, pour leur propre compte, ils usent sans hésiter du droit à l’arbitraire et à la folie, — ils commandent, même quand les questions « comment dois-je agir, pourquoi dois-je agir ? » ne peuvent être résolues qu’avec peine et difficulté. Et si la raison de l’humanité grandit avec une si