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AURORE

chant, profond, audacieux et il apporte à la lumière le trésor d’énergie latente qu’il porte en lui, un trésor auquel, par ailleurs, personne ne croit (ni lui, ni un autre). Lorsque, dans un cas pareil, un Allemand s’obéit à lui-même — c’est la grande exception — il le fait avec la même lourdeur, la même inflexibilité, la même endurance qu’il met généralement à obéir à son souverain et à ses devoirs professionnels : il est alors à la hauteur de grandes choses, qui ne sont nullement en proportion avec la « faiblesse de caractère » qu’il se prête lui-même. En temps habituels, cependant, il craint de dépendre de lui tout seul, il craint d’improviser (c’est pourquoi l’Allemagne use tant de fonctionnaires, tant d’encre). — La légèreté de caractère lui est étrangère, il est trop craintif pour s’y abandonner ; mais dans des situations toutes nouvelles qui le tirent de sa torpeur il est presque d’esprit frivole ; il jouit alors de la rareté de sa nouvelle situation comme d’une ivresse, et il s’entend à l’ivresse ! C’est ainsi que l’Allemand est maintenant presque frivole en politique ; si, là aussi, il a pour lui le préjugé de la profondeur et du sérieux, et s’il s’en sert en abondance dans ses rapports avec les autres puissances politiques, il est cependant secrètement plein de présomption pour avoir eu le droit de s’exalter une fois, d’être une fois fantasque et novateur, et de changer de personnes, de partis et d’espérances comme de masques. — Les savants allemands, qui semblaient être jusqu’à présent les plus Allemands parmi les Allemands, étaient, et sont peut-être encore, aussi bons que les soldats alle-