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AURORE

espace de la côte, avec ses rochers, ses baies, ses oliviers et ses pins, sous un aspect de perfection et de maîtrise : de même nous devrions aussi nous promener parmi les hommes, tels des explorateurs et des inquisiteurs, leur faisant du bien et du mal pour que se révèle la beauté qui leur est propre, ensoleillée chez celui-ci, orageuse chez celui-là, ne s’épanouissant chez un troisième que dans le demi-jour et sous un ciel de pluie. Est-il donc interdit de jouir de l’homme méchant comme d’un paysage sauvage, qui possède ses propres lignes audacieuses et ses effets de lumière, lorsque ce même homme, tant qu’il se donne pour bon et conforme à la loi, apparaît à notre regard comme une erreur de dessin et une caricature et nous fait souffrir comme une tache dans la nature ? — Certainement, cela est interdit : jusqu’à présent il n’était permis de chercher la beauté que dans ce qui est moralement bon, — ce fut une raison suffisante pour trouver si peu de choses et pour être forcé de s’enquérir de beautés imaginaires sans chair ni os ! — De même qu’il existe certainement cent espèces de bonheur parmi les méchants, dont les vertueux ne se doutent pas, de même il existe chez eux cent espèces de beautés : et beaucoup d’entre elles ne sont pas encore découvertes.

469.

L’inhumanité du sage. — À côté de l’allure lourde du sage qui brise tout et qui, comme dit l’hymne bouddhique, « marche solitaire comme le rhinocéros », — il faut, de temps en temps, la marque d’une