Page:Nietzsche - Aurore.djvu/399

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
399
AURORE

tons que, chez ce peintre, il y a de la présomption rien que dans la façon dont il manie le pinceau : tout aussi bien que nous entendons chez ce musicien, à la façon dont il introduit son thème, qu’il voudrait le donner pour supérieur à ce qu’il est. Avez-vous vécu de l’histoire au fond de vous-mêmes, des commotions et des secousses, de longues et de vastes tristesses, les coups de foudre de la joie ? Avez-vous été insensés avec de grands et de petits fous ? Avez-vous vraiment porté l’illusion et la douleur des hommes bons ? Et aussi la douleur et cette façon de bonheur des hommes mauvais ? Alors parlez-moi de morale, autrement, non !

546.

Esclave et idéaliste. — L’homme d’Épictète ne serait certes pas du goût de ceux qui aspirent maintenant à l’idéal. La tension continuelle de son être, le regard infatigable tourné à l’intérieur, ce que son œil a de fermé, de prudent, de réservé lorsqu’il lui arrive de se tourner vers le monde extérieur ; et encore ses silences et ses paroles courtes : tout cela ce sont des signes de la bravoure la plus sévère, — que serait-ce pour nos idéalistes qui sont avant tout avides d’expansion ! Avec tout cela il n’est point fanatique, il déteste la mise en vue et la vantardise de nos idéalistes : son orgueil, quelque grand qu’il soit, ne veut cependant pas déranger les autres : il admet un certain rapprochement bienveillant et ne voudrait gâter la bonne humeur de personne, — il sait même sourire ! Il y a beaucoup