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AURORE

560.

Ce qui nous est ouvert.— On peut agir avec ses instincts comme un jardinier et, ce que peu de gens savent, cultiver les germes de la colère, de la pitié, de la subtilité, de la vanité, de façon à les rendre aussi féconds et productifs qu’un beau fruit d’espalier ; on peut s’y prendre en usant du bon ou du mauvais goût d’un jardinier, et en quelque sorte à la façon française, ou anglaise, ou hollandaise, ou chinoise ; on peut aussi laisser faire la nature et veiller seulement çà et là à un peu de netteté et de propreté ; on peut enfin, sans aucune science et sans raison directrice, laisser croître les plantes avec leurs avantages et leurs obstacles naturels et les abandonner à la lutte qu’elles se livrent entre elles, — on peut même vouloir prendre plaisir à un tel chaos, et rechercher justement ce plaisir malgré l’ennui qu’on en a. Tout cela nous est ouvert : mais combien y en a-t-il donc qui savent que cela nous est ouvert ? Presque tous les hommes ne croient-ils pas en eux-mêmes, comme à des faits accomplis, arrivés à leur maturité ? De grands philosophes n’ont-ils pas mis leur sceau sur ce préjugé, avec leur doctrine de l’immuabilité du caractère ?

561.

Éclairer son bonheur. — Les peintres ne peuvent atteindre par aucun moyen le ton profond et lumineux du ciel, tel qu’il existe dans la nature. Par conséquent ils sont forcés de prendre toutes les