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AURORE

inconsciemment et trouver qu’il était bon de simuler. Du reste, chacun se trouvait en lutte pour sa vertu avec la vertu d’un autre ou de tous les autres : comment n’aurait-on pas rassemblé tous les artifices pour faire montre de ses vertus, avant tout devant soi-même, ne fût-ce que pour en prendre l’habitude ! À quoi servait une vertu que l’on ne pouvait montrer ou qui ne s’entendait pas à se montrer elle-même ! — Le christianisme imposa un frein à ces comédiens de la vertu : il inventa l’usage d’étaler ses péchés d’une façon répugnante, d’en faire parade, il amena dans le monde l’état de péché mensonger (jusqu’à nos jours il est considéré comme étant de « bon ton » parmi les bons chrétiens).

30.

La cruauté raffinée en tant que vertu. — Voici une moralité qui repose entièrement sur le penchant de la distinction, — n’en pensez pas trop de bien ! Quel penchant est-ce donc au fond et quelle est l’arrière-pensée qui le dirige ? On aspire à ce que notre vue fasse mal à notre voisin et à son esprit d’envie, éveille son sentiment d’impuissance et de déchéance ; on veut lui faire goûter l’amertume de sa destinée, en répandant sur sa langue une goutte de notre miel et, tandis qu’on lui fait goûter ce prétendu bienfait, on le regarde dans le blanc des yeux, fixement et d’un air de triomphe. Le voici devenu humble et parfait maintenant dans son humilité, — cherchez ceux à qui, par son humilité, il préparait