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AURORE

au sujet de l’avenir était devenue, dans des cas innombrables, un devoir religieux. Alors que nous nous contentons de l’espérance, les Grecs, grâce aux prédictions de leurs devins, estimaient fort peu l’espérance et l’abaissaient à la hauteur d’un mal ou d’un danger. — Les juifs, qui considéraient la colère autrement que nous, l’ont sanctifiée : c’est pourquoi ils ont placé la sombre majesté de l’homme qui accompagnait la colère si haut qu’un Européen ne saurait l’imaginer : ils ont façonné la sainteté de leur Jéhovah en colère d’après la sainteté de leurs prophètes en colère. Les grands courroucés parmi les Européens, si on les évalue d’après une telle mesure, ne sont, en quelque sorte, que des créatures de seconde main.

39.

Le préjugé de l’ « esprit pur ». — Partout où a régné la doctrine de la spiritualité pure, elle a détruit par ses excès la force nerveuse : elle enseignait à mépriser le corps, à le négliger ou à le tourmenter, à tourmenter et à mépriser l’homme lui-même, à cause de tous ses instincts ; elle produisait des âmes assombries, raidies et oppressées, — qui en outre, croyaient connaître la cause de leur sentiment de misère et espéraient pouvoir supprimer cette cause. « Il faut qu’elle se trouve dans le corps ! il est toujours encore trop florissant ! » — ainsi concluaient-ils, tandis qu’en réalité le corps, par ses douleurs, ne cessait de s’élever contre le continuel mépris qu’on lui témoignait. Une extrême nervosi-