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AURORE

49.

Le nouveau sentiment fondamental : notre nature définitivement périssable. — Autrefois, on cherchait à éveiller le sentiment de la souveraineté de l’homme en montrant son origine divine : ceci est devenu maintenant un chemin interdit, car à sa porte il y a le singe, avec quelque autre gent animale non moins effroyable ; — elle grince des dents, comme si elle voulait dire : pas un pas de plus dans cette direction ! On fait, par conséquent, des tentatives dans la direction opposée : le chemin que prend l’humanité doit servir de preuve à sa souveraineté et à sa nature divine. Hélas ! de cela aussi il n’en est rien ! Au bout de ce chemin se trouve l’urne funéraire du dernier homme qui enterre les morts (avec l’inscription : « nihil humani a me alienum puto »). Quel que soit le degré de supériorité que puisse atteindre l’évolution humaine — et peut-être sera-t-elle à la fin inférieure à ce qu’elle a été au début ! — il n’y a pour elle point de passage dans un ordre supérieur, tout aussi peu que la fourmi et le perce-oreille, à la fin de leur carrière terrestre, entrent dans l’éternité et le sein de Dieu. Le devenir traîne derrière lui ce qui fut le passé : pourquoi y aurait-il pour une petite étoile quelconque et encore pour une petite espèce sur cette étoile, une exception à cet éternel spectacle ! Éloignons de nous de telles sentimentalités.