Page:Nietzsche - Aurore.djvu/72

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
72
AURORE

titude, et qu’il en attribue la cause, et aussi la cause qui occasionne cette pensée nouvelle, à son Dieu : en tant que révélation de ce Dieu. Comment un homme pourrait-il être l’auteur d’un si grand bonheur ? — interroge son doute pessimiste. Mais il y a en plus d’autres leviers qui agissent en secret : on fortifie par exemple une opinion devant soi-même en la considérant comme une révélation, on lui enlève ainsi ce qu’elle a d’hypothétique, on la soustrait à la critique et même au doute, on la rend sacrée. Il est vrai que l’on s’abaisse de la sorte au rôle d’organe, mais notre pensée finit par être victorieuse sous le nom de pensée divine, — ce sentiment de demeurer vainqueur avec elle en fin de compte, ce sentiment se met à prédominer sur le sentiment d’abaissement. Un autre sentiment s’agite encore à l’arrière-plan : lorsque l’on élève son produit au-dessus de soi, faisant, en apparence, abstraction de sa propre valeur, on garde pourtant une espèce d’allégresse de l’amour paternel et de la fierté paternelle qui efface tout, qui fait encore plus qu’effacer.

63.

Haine du prochain. — En admettant que nous considérons notre prochain comme il se considère lui-même — Schopenhauer appelle cela de la compassion, ce serait plus exactement de l’auto-passion, — nous serions forcés de le haïr, si, comme Pascal, il se croit lui-même haïssable. Et c’était bien le sentiment général de Pascal à l’égard des hommes,