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AURORE

« J’ai raison, car il est écrit — », et alors c’est une telle impertinence arbitraire dans l’interprétation qu’elle fait s’arrêter un philologue entre la colère et le rire pour se demander toujours à nouveau : Est-il possible ! Cela est-il loyal ? Est-ce seulement convenable ? Les déloyautés que l’on commet à ce sujet sur les chaires protestantes, la façon grossière dont le prédicateur exploite le fait que personne ne peut lui répondre, déforme et accommode la Bible et inculque ainsi au peuple, de toutes les manières, l’art de mal lire, — tout cela ne sera méconnu que par celui qui ne va jamais ou qui va toujours à l’église. Mais, en fin de compte, que peut-on attendre des effets d’une religion qui, pendant les siècles de sa fondation, a exécuté cette extraordinaire farce philologique autour de l’Ancien Testament ? Je veux dire la tentative d’enlever l’Ancien Testament aux juifs avec l’affirmation qu’il ne contenait que des doctrines chrétiennes et qu’il ne devait appartenir qu’aux chrétiens, le véritable peuple d’Israël, tandis que les juifs n’avaient fait que se l’arroger. Il y eut alors une rage d’interprétation et de substitution qui ne pouvait certainement pas s’allier à la bonne conscience ; quelles que fussent les protestations des juifs, partout, dans l’Ancien Testament, il devait être question du Christ, et rien que du Christ, partout notamment de sa croix, et tous les passages où il était question de bois, de verge, d’échelle, de rameau, d’arbre, de roseau, de bâton ne pouvaient être que des prophéties relatives aux bois de la croix : même l’érection de la licorne et du serpent d’airain, Moïse lui-même avec les bras étendus