Page:Nietzsche - Aurore.djvu/97

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
97
AURORE

sent toujours stériles, pénibles et mélancoliques, était donc indispensable ; c’est ainsi qu’ils pouvaient encore servir à provoquer cette minute extatique où l’homme assiste au « débordement de la grâce » et au miracle moral : — pourtant, cette lutte pour la moralité n’est pas nécessaire, car il n’est point rare que ce miracle n’assaille le pécheur, justement à l’endroit où fleurit, en quelque sorte, la lèpre du péché ; l’écart hors du péché le plus profond et le plus foncier apparaît même plus facile, et aussi, comme preuve évidente du miracle, plus désirable. — Pénétrer le sens d’un tel revirement soudain, déraisonnable et irrésistible, d’un tel passage de la plus profonde misère au plus profond sentiment de bien-être, au point de vue physiologique (peut-être est-ce une épilepsie masquée ?) — c’est l’affaire des médecins aliénistes qui ont abondamment l’occasion d’observer de pareils « miracles » (par exemple sous forme de manie du crime ou de manie du suicide). Le « résultat plus agréable », relativement du moins, dans le cas du chrétien, — ne crée pas de différence essentielle.

88.

Luther, le grand bienfaiteur. — Ce que Luther a fait de plus important, c’est d’avoir éveillé la méfiance à l’égard des saints et de la vie contemplative tout entière : à partir de son époque seulement le chemin qui mène à une vie contemplative non chrétienne a de nouveau été rendu accessible en Europe et un frein a été mis au mépris de l’activité laïque.